Une mère rencontre les infirmières qui ont été les dernières personnes à tenir la main de sa fille
Nina Kautuq (au centre) et son fils de six ans, Jutanie, sont les seuls survivants d’un incendie qui a emporté le reste de leur famille. Carolyn Roberts (à gauche), infirmière pivot auprès des patients autochtones à L’Hôpital d’Ottawa, et Kerri-Lynn Whyte (à droite), infirmière au CHEO, ont facilité la rencontre entre Mme Kautuq et le personnel qui a pris soin de ses trois enfants.
Nina Kautuq porte toujours les séquelles de l’accident de camping qui a coûté la vie à son époux et à trois de ses quatre enfants en 2015. Mais c’est seulement en février dernier que son processus de guérison émotionnelle a pu commencer, quand elle a rencontré les infirmières et le médecin qui ont pris soin de ses enfants.
Mme Kautuq était hantée par la croyance que sa fille, Tinisha, était décédée toute seule à l’hôpital. La douleur associée à cette pensée était insoutenable », explique Carolyn Roberts, infirmière pivot auprès des patients autochtones à L’Hôpital d’Ottawa.
« Son sentiment de culpabilité était presque devenu paralysant », affirme Mme Roberts. « Elle n’arrivait pas à le surmonter et en faisait même des cauchemars. “Qu’est-ce que j’aurais dû faire?”, se demandait-elle, traumatisée. “Comment ai-je pu laisser ma fille mourir toute seule dans cet endroit qu’elle ne connaissait pas?” »
C’était en août 2015 qu’un incendie a ravagé la tente de camping de cette famille de six originaire de Pond Inlet. Initialement traitée au Nunavut, la famille a ensuite fait plusieurs voyages en avion pour se faire soigner au sud. Ikie Kautuq, le mari de MmeKautuq, est décédé de ses blessures à Winnipeg, où il avait été transporté. Tinisha, la fille de neuf ans, est décédée au CHEO, un centre de soins et de recherche pédiatrique à Ottawa, avant même que puisse y arriver un membre de la famille. Ce n’est que le lendemain que Mme Kautuq a pu arriver par transport aérien au Campus Général de L’Hôpital d’Ottawa pour y recevoir des soins. Ses trois autres enfants, Roxanne (11 ans), Anton (6 ans) et Jutanie (2 ans – maintenant âgé de 6 ans), ont suivi en direction du CHEO.
Avec l’aide du personnel de l’Hôpital, Mme Kautuq, qui se remettait de graves brûlures au Campus Général, a pu se rendre au CHEO pour voir Roxanne et Anton avant leur décès. (Les hôpitaux sont attenants et reliés par une passerelle.) Or, elle n’arrivait pas à se démettre de la crainte que Tinisha soit décédée sans personne à son chevet.
« Sa communauté tout entière était sous le choc », relate Gaby Jodouin, gestionnaire de cas auprès de l’organisme Ottawa Health Services Network Inc., qui coordonne les soins aux patients originaires du Nunavut. Mme Jodouin a facilité la rencontre entre Mmes Kautuq et Roberts. « Nous n’avions jamais vécu une expérience aussi dévastatrice. Le personnel du CHEO aussi en était abattu. »
« Connaissant le CHEO, je savais qu’on n’aurait jamais laissé Tinishia mourir toute seule », exprime Mme Roberts, qui a déjà travaillé au CHEO. « Je connaissais certaines des infirmières concernées. J’ai demandé à Nina la permission de communiquer avec le CHEO. Elle voulait juste serrer les mains des dernières personnes qui ont tenu celles de sa fille. »
Mme Roberts a donc parlé à Kerri-Lynn Whyte, infirmière du CHEO qui était la coordonnatrice de la prévention des blessures et des traumatismes au moment du drame. Il a fallu du temps pour tout organiser, mais la rencontre a finalement eu lieu en février, quand Nina et Jutanie Kautuq sont venus à Ottawa pour une autre greffe de peau.
Ce jour-là, bien des gens se sont serrés dans les bras. Beaucoup de larmes ont été versées, de mains tenues et de mouchoirs trempés.
« Nous nous sommes assurés que Tinisha ne soit jamais seule », a souligné Mme Whyte, s’adressant à Mme Kautuq. « Nous l’avons entourée de couvertures douillettes et de jolis toutous. »
Pendant que Mme Whyte racontait les derniers moments de Roxanne et d’Anton à leur mère, Jutanie, lui, jouait aux billes sur le plancher.
Nina et Jutanie avec le personnel du CHEO en soins intensifs |
« Ils n’ont jamais ressenti de douleur. Ils avaient des couvertures chaudes en tout temps. Ils étaient bien bordés et quelqu’un leur tenait la main. On sait si un enfant souffre parce qu’on suit son rythme cardiaque. Une infirmière surveillait en permanence le rythme cardiaque de chaque enfant. Je me souviens qu’à un moment, Roxanne avait appelé son frère Anton. Nous avons donc rapproché leurs lits pour qu’ils puissent se voir. Ils étaient ensemble, tout proches l’un de l’autre. Et nous appelions constamment au Campus Général pour prendre de vos nouvelles. »
Mme Whyte a glissé trois petites figurines d’anges gardiens entre les mains de Mme Kautuq.
« Pour chaque enfant. Pour vous rappeler que nous ne les oublierons jamais. »
Entre deux sanglots, Mme Kautuq leur répond en chuchotant : « Merci. Wow. Merci. Maintenant je me souviens de vous. C’est important de pouvoir rapiécer tous les morceaux. »
Nina Kautuq a voulu partager son expérience avec le public pour plusieurs raisons : pour l’aider à guérir, pour perpétuer le souvenir de ses enfants et pour témoigner de la compassion du personnel du CHEO et de L’Hôpital d’Ottawa.
Le drame a bouleversé les infirmières et les médecins. Ils ont bien accueilli la rencontre avec Mme Kautuq, qui leur a permis de commencer à guérir aussi.
« J’espère transmettre votre force à tous les soignants de vos enfants », a affirmé le Dr Sonny Dhanani, chef des soins intensifs pédiatriques.
« Cette expérience nous aidera à devenir de meilleurs médecins et infirmières », a déclaré Mme Whyte. « Vous avez fait preuve d’un courage exceptionnel toutes ces années, malgré la douleur insoutenable. Vos enfants nous ont rapprochés. Merci. »
Nina Kautuq a pris une grande inspiration et a souri à travers ses larmes. « Je me sens libérée d’un fardeau de 100 livres », exprime-t-elle. « Ça me touche énormément. »
La rencontre a permis d’atténuer sa douleur, même si elle ne disparaîtra jamais.
« Nina Kautuq va bien », a expliqué Mme Roberts le lendemain. « Elle m’a dit qu’elle était contente d’être enfin apaisée. » Cette nuit-là, Nina Kautuq a retrouvé le sommeil.
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